Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur a l’obligation de rechercher un reclassement avant de procéder à son licenciement. À défaut de solution, il doit notifier par écrit au salarié les motifs s’opposant à son reclassement (articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du Code du travail). Cette obligation vise à assurer la transparence et à protéger les droits du salarié.
Toutefois, la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 janvier 2025 (n° 23-17.647), a confirmé que l’absence d’information sur ces motifs ne cause pas nécessairement un préjudice au salarié. Cette décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle selon laquelle l’existence d’un préjudice doit être démontrée et n’est plus présumée.
Dès lors, il convient d’examiner le cadre juridique de l’obligation d’information des motifs de refus de reclassement puis d’analyser la position de la jurisprudence quant à l’éventuelle indemnisation du salarié.
Le cadre juridique de l’obligation d’information en cas d’impossibilité de reclassement
Une obligation légale pesant sur l’employeur
Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur est tenu d’explorer les possibilités de reclassement au sein de l’entreprise ou, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient. Cette obligation découle notamment des articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du Code du travail :
- Article L. 1226-2-1 (inaptitude non professionnelle) : Lorsqu’il est impossible à l’employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement.
- Article L. 1226-12 (inaptitude professionnelle) : Si aucun reclassement n’est possible, l’employeur doit notifier au salarié, par écrit, les motifs s’opposant à son reclassement avant tout licenciement.
L’objectif de cette formalité est double : garantir l’information du salarié et lui permettre, le cas échéant, de contester la décision de l’employeur.
Une obligation dont la méconnaissance peut entraîner des conséquences
Le non-respect de cette obligation expose l’employeur à un risque de contentieux. En principe, la violation d’une obligation légale peut ouvrir droit à indemnisation pour le salarié. Cependant, encore faut-il que ce dernier démontre l’existence d’un préjudice réel et certain.
C’est sur ce point que la jurisprudence a évolué : la seule méconnaissance de l’obligation d’information ne suffit plus à entraîner automatiquement une indemnisation.
L’absence de préjudice automatique en cas de défaut d’information : une approche jurisprudentielle constante
La confirmation par la Cour de cassation d’une absence de préjudice présumé
Dans l’arrêt du 29 janvier 2025 (n° 23-17.647), la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un salarié qui contestait son licenciement pour inaptitude en raison de l’absence de notification écrite des motifs du refus de reclassement. Elle juge que l’existence d’un préjudice doit être prouvée par le salarié et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que le salarié ne démontrait aucun préjudice résultant du manquement de l’employeur. Le seul constat de l’absence de notification n’ouvrait donc pas droit à réparation.
Cette position s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, depuis 2016, a abandonné le principe du préjudice nécessaire (Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293). Elle exige désormais que le salarié justifie d’un préjudice concret pour obtenir une indemnisation.
L’évolution jurisprudentielle vers une évaluation au cas par cas
L’abandon du préjudice automatique a été réaffirmé à plusieurs reprises par la haute juridiction, notamment dans les cas suivants :
- Licenciement sans cause réelle et sérieuse : L’indemnisation n’est pas automatique ; elle est conditionnée à l’existence d’un préjudice démontré (Cass. soc., 13 septembre 2017, n° 16-13.578).
- Non-respect d’une obligation européenne : L’indemnisation est automatique uniquement si elle constitue le seul moyen d’assurer l’effectivité d’un droit reconnu par le droit européen (ex. non-respect du congé maternité, Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 22-16.129).
Dans l’affaire du 29 janvier 2025, la Cour de cassation applique la même logique : l’absence de notification des motifs du refus de reclassement ne crée un préjudice que si le salarié en apporte la preuve.
Analyse critique et perspectives d’évolution
Une décision protectrice des employeurs mais critiquable au regard des droits des salariés
Cette jurisprudence favorise une approche pragmatique qui évite d’automatiser les sanctions à l’encontre des employeurs. Elle permet d’éviter une inflation contentieuse et des indemnisations systématiques en l’absence de réel préjudice.
Toutefois, elle peut être critiquée sur plusieurs points :
- Un déséquilibre au détriment des salariés : L’obligation d’information avait précisément pour but de garantir la transparence et d’assurer au salarié un droit de regard sur les raisons du refus de reclassement.
- Une charge de la preuve lourde pour le salarié : Dans la pratique, démontrer un préjudice peut être difficile, notamment si l’employeur n’a pas documenté sa recherche de reclassement.
Quelles évolutions possibles ?
À l’avenir, plusieurs évolutions pourraient être envisagées :
- Un encadrement plus strict des sanctions : Le législateur pourrait prévoir une sanction spécifique pour non-respect de l’obligation d’information, indépendamment de la démonstration d’un préjudice.
- Un assouplissement de l’appréciation du préjudice : Les juges pourraient considérer que l’absence de notification crée un préjudice moral présumé, facilitant ainsi l’indemnisation du salarié.
- Une meilleure articulation avec le droit européen : Si l’on considère que l’obligation d’information vise à assurer l’effectivité des droits du salarié, une protection plus stricte pourrait être envisagée à la lumière des normes internationales.
Conclusion
L’arrêt du 29 janvier 2025 confirme une jurisprudence désormais bien établie : le salarié non informé des motifs s’opposant à son reclassement ne peut pas prétendre à une réparation automatique. Il lui appartient de démontrer l’existence d’un préjudice, ce qui n’est pas toujours aisé.
Si cette approche assure une certaine cohérence avec l’évolution jurisprudentielle en matière de préjudice, elle pose néanmoins la question de la protection effective des salariés en cas d’inaptitude. Il appartiendra au législateur ou aux juges de faire évoluer ce cadre si les abus de la part des employeurs se multiplient.