La Bretagne, ça vous gagne !… mais pas toujours.
Voici un arrêt qui a fait couler beaucoup d’encre dans le monde du droit du travail.
Un employeur situé en région parisienne a reproché à un salarié d’avoir déménagé en Bretagne, sans l’en informer. Il considérait que ce nouveau domicile n’était pas compatible avec son obligation de sécurité et les déplacements professionnels induits par l’activité du salarié. Il lui a donc demandé de régulariser sa situation avant le 30 mai 2019.
Le 9 mai 2019, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes afin d’obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Suite à cela et après une convocation à un entretien préalable en vue d’un licenciement, l’employeur lui a notifié son licenciement disciplinaire pour cause réelle et sérieuse, en raison de la fixation de son domicile « en un lieu trop éloigné de ses lieux d’activité professionnelle » et en violation des stipulations de son contrat de travail.
Le conseil de prud’hommes donne raison à l’employeur.
Les juges de la cour d’appel vont dans le même sens. Selon eux, le déménagement à 442 kilomètres du lieu de travail a, à l’évidence, allongé son temps de trajet, pour se rendre au siège social de l’entreprise, puisqu’il était contraint d’assumer 4h30 de trajet par la route, ou 3h30 de train. Il importait peu selon ses derniers que l’activité du salarié soit exercée principalement à l’étranger, dès lors que le déménagement l’a également éloigné singulièrement des aéroports de Roissy ou d’Orly (a minima 3h30 en train).
Ainsi, selon la cour, cette distance excessive ne pouvait être acceptée par l’employeur compte tenu de son obligation de sécurité issue de l’article L.4121-1 du code du travail, mais également de celle incombant au salarié au titre de l’article L.4122-1 du même code.
De plus, l’employeur était tenu de veiller au repos quotidien de son salarié et à l’équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle dans le cadre de la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis.
La cour considère enfin qu’aucune atteinte disproportionnée au libre choix du domicile personnel et familial au titre du droit au respect du domicile, protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, n’apparaît caractérisée compte tenu de l’obligation essentielle de préservation de la santé et de la sécurité du salarié.
La faute reprochée au salarié était par conséquent établie et elle constituait bien une cause réelle et sérieuse de licenciement.
L’obligation de préservation de la santé du salarié peut donc, d’après la cour d’appel, prévaloir sur la liberté de choix du domicile.
Cette décision, très défavorable au salarié, a de quoi surprendre, car elle remet en cause le droit légitime du salarié à déménager. À noter que la Cour de cassation n’admet que très rarement les atteintes de l’employeur au libre choix du domicile du salarié.
Par ailleurs, on relève que la cour d’appel étend l’application de l’obligation de sécurité réciproque de l’employeur et du salarié au-delà de la sphère professionnelle.
C’est à se demander s’il ne s’agit pas là d’un arrêt d’espèce, et non d’une position de principe.
Il serait intéressant de connaître la position de la Cour de cassation sur le sujet. Dans cette attente, la prudence est de mise.
CA de Versailles, du 10 mars 2022, n° 20/02208
PB Avocats