La garantie légale d’éviction dans la cession de droits sociaux

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La garantie légale d’éviction dans la cession de droits sociaux

Le cédant de droits sociaux est tenu, en vertu de la garantie légale d’éviction, de ne pas porter atteinte aux droits de l’acquéreur en se livrant à des activités susceptibles de nuire à l’objet social de la société cédée. Cette interdiction, bien que générale, n’est pas illimitée. Elle est définie dans un cadre précis, tant sur le plan temporel que géographique, et doit être proportionnée aux intérêts protégés.

Dans le cadre de la cession d’actions, le cédant est soumis à une obligation légale de non-concurrence, découlant des articles 1626 à 1640 du Code civil. Cette garantie implique que le cédant doit s’abstenir de tout acte de nature à constituer une reprise ou une tentative de reprise du bien vendu, ou à porter atteinte aux activités de l’acquéreur de manière à l’empêcher de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser son objet social.

Cadre d’application

L’interdiction de concurrence doit être proportionnée et s’apprécier in concreto, selon :

  • Le délai écoulé entre la cession et les actes de concurrence allégués ;
  • La nature et le dynamisme du marché concerné, en tenant compte de son degré d’innovation et des évolutions rapides qui peuvent affecter certains secteurs, notamment celui des technologies de l’information ;
  • Les impacts concrets des actes reprochés sur l’activité de l’acquéreur, afin de concilier la protection des droits de celui-ci avec la liberté d’entreprendre, reconnue comme un principe constitutionnel.

L’enseignement de l’arrêt du 6 novembre 2024

Dans l’arrêt Cass. com. 6 novembre 2024, n° 23-11.008, la Cour de cassation a réaffirmé que l’interdiction de se rétablir dans une activité concurrente doit être délimitée quant au cadre spatio-temporel et proportionnée aux intérêts légitimes en cause. Dans cette affaire :

  • Les cédants avaient créé une société concurrente plus de trois ans après la cession, avec des actes ultérieurs (recrutement d’anciens salariés, mise en ligne d’un logiciel concurrent) intervenant près de cinq ans après.
  • La Cour a jugé que, dans le secteur informatique marqué par une innovation rapide, interdire un rétablissement aussi tardif serait disproportionné par rapport à la protection des intérêts de l’acquéreur.

Cet arrêt souligne que l’application de la garantie légale d’éviction doit être équilibrée, de manière à protéger l’acquéreur sans porter atteinte de manière excessive à la liberté du commerce et de l’industrie.

Conséquences pratiques

En cas de litige, les juges doivent évaluer si, au moment des faits, la concurrence exercée par le cédant est encore de nature à porter préjudice à l’acquéreur ou si elle relève d’une activité légitime et proportionnée dans le contexte économique. Une analyse contextuelle détaillée est essentielle, intégrant la dynamique du marché et le temps écoulé depuis la cession.

Cass. com. 6 novembre 2024 n° 23-11.008 F-D

PB Avocats

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