Lorsqu’une société rachète les parts d’un associé en vue de leur annulation, une question essentielle se pose : cette opération implique-t-elle nécessairement le remboursement du compte courant d’associé ?
La Cour de cassation, dans un arrêt récent du 12 février 2025 (Cass. com. 12 février 2025, n° 23-17.483), a rappelé un principe fondamental : sauf stipulation contraire, l’obligation d’une société de payer le prix de rachat des parts d’un associé est distincte de celle de rembourser le solde de son compte courant. Cette décision éclaire la nature juridique du compte courant d’associé et confirme son autonomie par rapport aux droits sociaux.
Ce sujet revêt une importance particulière car il touche aux règles fondamentales de la gouvernance et des relations financières entre associés et sociétés.
Le cadre juridique du compte courant d’associé et du rachat de parts sociales
La nature du compte courant d’associé
Le compte courant d’associé est un mécanisme courant en droit des sociétés, permettant aux associés d’effectuer des avances de fonds à la société. Il s’agit d’un prêt consenti à durée indéterminée, ce qui signifie que, sauf convention contraire, l’associé peut en exiger le remboursement à tout moment (Cass. com. 27-5-2021, n° 19-18.983).
Cette qualification a des implications majeures :
- L’associé ayant un compte courant est considéré comme un créancier social, distinct de sa qualité d’associé.
- Le remboursement du compte courant est une obligation de la société, indépendante de l’éventuelle cession ou rachat de ses parts sociales.
L’indépendance entre le rachat de parts sociales et le remboursement du compte courant
Le rachat de parts sociales par la société vise généralement leur annulation dans le cadre d’une réduction de capital. En droit des sociétés, sauf stipulation contraire, il n’existe aucun lien juridique direct entre cette opération et le remboursement du compte courant d’associé.
L’article 1224 du Code civil prévoit que la résolution d’un contrat peut être demandée en cas d’inexécution d’une obligation essentielle. Toutefois, la Cour de cassation a jugé que l’obligation de payer le prix du rachat des parts et celle de rembourser le compte courant étaient distinctes, ce qui exclut que le non-remboursement du compte courant puisse justifier la résolution du rachat des parts.
Analyse de la jurisprudence récente : l’arrêt du 12 février 2025
L’affaire soumise à la Cour de cassation concernait une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) ayant racheté les parts d’un associé avant de se transformer en société de participations financières de professions libérales (SPFPL). L’associé sortant revendiquait le remboursement de son compte courant en même temps que le paiement du prix de cession de ses parts, soutenant que les deux obligations étaient indissociables.
Rappel des faits
- Une SELARL a procédé au rachat des parts d’un associé dans le cadre d’une restructuration.
- L’assemblée générale extraordinaire a décidé la réduction du capital, avec rachat des parts à un prix fixé à 355 000 €.
- L’associé sortant, n’ayant pas obtenu le remboursement de son compte courant malgré ses mises en demeure, a demandé la résolution du rachat des parts en invoquant cette absence de paiement.
La position de la Cour de cassation
Celle-ci a rejeté cette demande en considérant que :
- Sauf clause expresse, l’obligation de rachat des parts sociales et l’obligation de remboursement du compte courant ne sont pas interdépendantes.
- L’associé sortant pouvait bien sûr exiger le remboursement de son compte courant en tant que créancier social, mais il ne pouvait pas obtenir la résolution du rachat de ses parts en raison de ce non-paiement.
- Cette solution s’appuie sur une jurisprudence constante affirmant l’autonomie du compte courant d’associé (Cass. req. 11-1-1932 ; Cass. com. 11-1-2017, n° 15-14.064).
Conséquences pour les associés et les sociétés
- Pour les associés : cette décision leur rappelle l’importance de négocier des clauses spécifiques en cas de sortie, notamment pour garantir que le remboursement du compte courant soit prévu contractuellement dans le cadre du rachat des parts.
- Pour les sociétés : elles doivent veiller à distinguer clairement dans leurs statuts et conventions les obligations relatives aux rachats de parts et aux comptes courants d’associés afin d’éviter d’éventuels litiges.
- Risques et précautions à prendre
- Risques et précautions à prendre
Pour éviter toute contestation, les associés et les sociétés peuvent :
- Intégrer dans les pactes d’associés ou les statuts une clause d’interdépendance entre le rachat de parts et le remboursement du compte courant.
- Prévoir un échéancier de paiement clair en cas de rachat des parts sociales, incluant éventuellement le remboursement du compte courant.
- S’assurer que les conditions financières du rachat sont bien documentées dans les décisions des assemblées générales.
- Cette autonomie entre compte courant et parts sociales a également des conséquences fiscales et comptables. Le remboursement du compte courant peut être différé sans impact direct sur le capital social, tandis que le rachat des parts a une incidence immédiate sur la structure de la société.
Conclusion
L’arrêt du 12 février 2025 apporte une clarification essentielle sur le statut du compte courant d’associé en cas de rachat de parts sociales. Il réaffirme le principe selon lequel, sauf stipulation contraire, la société n’est pas tenue de rembourser simultanément le compte courant d’un associé dont elle rachète les parts. Cette solution, qui s’inscrit dans la logique de la distinction entre l’associé en tant qu’investisseur et l’associé en tant que créancier social, est parfaitement transposable aux sociétés commerciales.
Pour éviter toute incertitude, il est recommandé aux associés de prévoir contractuellement les conditions de sortie et aux sociétés de formaliser précisément leurs engagements financiers en cas de restructuration.
Cass. com. 12 février 2025 n° 23-17.483 F-B
PB Avocats