Le statut des baux commerciaux a pour objectif d’assurer la protection du locataire dans son activité.
A cette fin, il fixe au bail une durée minimale et reconnaît au locataire un droit au renouvellement à son expiration. Egalement, il permet au locataire de s’adapter aux évolutions économiques en instaurant la possibilité de modifier la destination contractuelle du bail selon une procédure spécifique. Enfin, il tend à limiter la charge financière de la location grâce au plafonnement du loyer lors du renouvellement du bail.
Pour le propriétaire d’un bien immobilier comme pour le futur locataire, il est essentiel de déterminer si la relation envisagée sera, ou non, soumise au statut des baux commerciaux qui obéit à un régime spécifique.
Néanmoins, la qualification d’un contrat, et donc la détermination du régime qui lui sera applicable, ne dépend pas nécessairement des termes que les parties ont employés ou de l’appellation qu’elles lui ont conférée, mais de la réunion de ses éléments constitutifs.
En effet, les juges ont le pouvoir, en cas de litige, de restituer à un contrat sa véritable qualification.
Aussi, peut se poser la problématique d’un bail qualifié de « bail d’habitation » alors qu’il est accessoire à l’exploitation d’un fonds de commerce : ce bail est-il soumis au statut des baux commerciaux ? Ce bail peut-il être requalifié en « bail commercial » ?
Un arrêt récent nous apporte des précisions sur ce point (Cass. 3e civ. 15 février 2018 n° 16-19.522).
Bail d’habitation ou bail commercial ?
Dans cet arrêt, les faits étaient les suivants : une société avait pris à « bail commercial » un local à usage de café-restaurant puis avait pris à « bail d’habitation » auprès du même propriétaire un appartement destiné à son personnel, un local à skis et des réserves situés au sous-sol de l’immeuble communiquant avec le sous-sol de l’immeuble du local de café-restaurant.
Le bail d’habitation portant sur l’appartement comportait la clause suivante : « Le local faisant l’objet des présentes est destiné au logement du personnel mais ne peut pas être considéré comme un local accessoire indispensable à l’exploitation commerciale du preneur et en conséquence ne présente pas un caractère commercial. Cette condition est essentielle et déterminante pour le bailleur qui n’aurait pas consenti de bail dans le cas contraire ; par ailleurs, de convention expresse, les soussignés déclarent vouloir soumettre la location faisant l’objet des présentes aux textes régissant les baux d’habitation ».
Le bail portant sur l’appartement était donc volontairement qualifié par le bailleur de « bail d’habitation ».
Dix ans après, le bailleur avait donné congé à la société locataire pour vendre le logement comme il peut le faire en application des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d’habitation.
La société locataire avait alors assigné le bailleur en nullité du congé.
Selon la société locataire, le congé n’était pas valable et le bail d’habitation portant sur l’appartement devait être requalifié en « bail commercial » car le local était « indissociable de l’exploitation du fonds de commerce » et interdisait une autre destination à usage d’habitation telle qu’imposée selon elle « artificiellement » par le bailleur dans le contrat de bail.
Selon le bailleur, au contraire, il s’agissait bel et bien d’un bail d’habitation soumis au régime des baux d’habitation et non au statut des baux commerciaux de sorte que son congé pour vendre fondé sur les dispositions relatives aux baux d’habitation était parfaitement valable.
L’application du statut au local d’habitation indispensable à l’exploitation d’un fonds de commerce
La Cour de cassation donne raison au locataire en précisant qu’ « ayant relevé que, compte tenu de la situation des lieux en sous-sol, imbriqués en partie, dès la conclusion du bail, « par emprise du local commercial », de l’absence de fenêtre et de la présence d’un compteur électrique commun au local commercial, le local litigieux ne pouvait qu’être réservé au logement du personnel et au rangement des skis de la clientèle, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder aux recherches prétendument omises, a souverainement retenu que ce local était indispensable à l’exploitation du fonds de commerce et en a exactement déduit que le bail était soumis au statut des baux commerciaux » (Cass. 3e civ. 15 février 2018 n° 16-19.522).
En clair, le bail qualifié à l’origine de « bail d’habitation » était indispensable à l’exploitation du fonds de commerce et devait par conséquent être soumis au statut des baux commerciaux.
La Cour de cassation valide ainsi la décision des juges d’appel jugeant que le bail qualifié d’habitation était un bail soumis au statut des baux commerciaux, déclarant par conséquent nul le congé du bailleur et rejetant sa demande d’expulsion.
En réalité, lorsque les conditions légales sont remplies, l’application du statut est impérative et ce peu important le fait que les parties aient été d’accord à l’origine pour conclure un bail d’habitation.
Les parties doivent donc avoir conscience, avant signature d’un bail, que si celui-ci remplit certaines conditions, il pourra être requalifié en bail commercial même s’il avait été qualifié à l’origine de « bail d’habitation » …
Louise BARGIBANT
Avocat collaborateur