La souveraineté alimentaire, érigée en priorité nationale, exige une adaptation du cadre juridique des structures agricoles. La loi n° 2025-268 du 24 mars 2025 introduit deux avancées notables : elle permet aux sociétés agricoles d’exercer certaines activités commerciales accessoires sans perdre leur nature civile, et crée un droit à l’essai avant l’association. Ces dispositifs, pensés pour sécuriser juridiquement et humainement les projets collectifs, s’inscrivent dans une dynamique de modernisation du droit rural, en tenant compte des réalités économiques et sociales du monde agricole.
Une ouverture commerciale encadrée pour les structures civiles
Jusqu’à récemment, une société agricole qui exerçait une activité commerciale s’exposait à une requalification en société commerciale de fait, avec des conséquences lourdes : perte des avantages fiscaux, responsabilité solidaire des associés (C. civ. art. 1872-1, al. 2 ; CA Rouen, 22 nov. 1995). Pour éviter cette insécurité, l’article 28 de la loi de 2025 a introduit une exception au principe de civilité.
Désormais, les sociétés agricoles peuvent exercer, sous conditions, des activités commerciales accessoires. Celles-ci doivent être en lien avec l’exploitation agricole, sans nécessairement relever de la stricte définition des activités dites “agricoles par accessoire” (cf. Cass. com., 13 juill. 2010, n° 09-16.100). Les seuils sont limités : 20 000 euros ou 40 % des recettes agricoles, avec une majoration pour les GAEC. Pour bénéficier de cette faculté, les structures doivent adapter leurs statuts et veiller à ne pas franchir les bornes fixées.
Cette évolution répond à une nécessité pratique : permettre aux exploitants de valoriser leur production ou leurs savoir-faire (vente directe, transformation, tourisme rural…) tout en conservant la souplesse juridique du cadre civil.
Le droit à l’essai : sécuriser les projets d’association
La loi introduit également un outil inédit : l’association à l’essai. Inspirée de pratiques expérimentales et soutenue par la doctrine, cette mesure permet à une personne de tester pendant un an (renouvelable une fois) une collaboration au sein d’une société agricole ou avec d’autres exploitants, sans entrer juridiquement dans la société.
Cette convention, encadrée par l’article L. 330-9 du Code rural, est conclue à titre gratuit, avec accompagnement obligatoire. Elle exclut expressément tout droit aux parts, aux bénéfices ou aux pertes. L’objectif est clair : tester l’entente, sans prise de risque juridique. Le statut de la personne en essai dépend d’un autre lien juridique : contrat de travail, de stage, d’entraide ou statut d’aide familial.
En pratique, ce droit à l’essai constitue un levier précieux pour les jeunes agriculteurs ou les porteurs de projet, leur permettant de s’immerger dans la gestion collective avant de s’engager pleinement. Il reste toutefois suspendu, dans son application concrète, à la publication de l’arrêté fixant le modèle-type de convention.
Une réforme saluée mais à manier avec vigilance
La doctrine souligne l’intérêt de ces mesures pour stabiliser les projets agricoles, en particulier dans un contexte de renouvellement générationnel et de diversification des activités. Elle met également en garde contre les risques de détournement du droit à l’essai ou de dépassement des seuils d’activité commerciale.
La jurisprudence rappelle quant à elle que le respect des formes et des seuils reste déterminant. Un arrêt récent de la Cour de cassation (mars 2025) confirme qu’un dépassement ou une omission statutaire peut encore exposer une structure à une requalification, avec les conséquences juridiques classiques.
Conclusion
La loi du 24 mars 2025 marque une avancée pragmatique : elle offre aux sociétés agricoles une plus grande marge de manœuvre économique, tout en introduisant des outils de sécurisation humaine et juridique. Ces évolutions renforcent l’attractivité du modèle agricole français, à condition que les professionnels du droit et du chiffre accompagnent efficacement les exploitants dans l’application de ces nouveaux dispositifs.
PB Avocats